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de la garde nationale, ajouta M. Grandet d’un air tragique (son ambition datait des journées de juin), De plus, ajouta-t-il d’un air encore plus sombre (il était fort bien reçu par la reine), de plus, connu par d’infâmes plaisanteries sur tout ce que les hommes en société doivent respecter. Etc., etc.

M. Grandet était un demi-sot, lourd et assez instruit, qui chaque soir suait sang et eau pendant une heure pour se tenir au courant de notre littérature, c’était son mot. Du reste, il n’eût pas su distinguer une page de Voltaire d’une page de M. Viennet. On peut deviner sa haine pour un homme d’esprit qui avait des succès et ne se donnait aucune peine. C’était ce qui l’outrait davantage.

Madame Grandet savait qu’il n’y avait aucun parti à tirer de son mari jusqu’à ce qu’il eût épuisé toutes les phrases bien faites, à ce qu’il pensait, qu’un sujet quelconque pouvait lui fournir. Le malheur, c’est qu’une de ces phrases engendrait l’autre. M. Grandet avait l’habitude de se laisser aller à ce mouvement, il espérait arriver ainsi à avoir de l’esprit, et il eût eu raison, si au lieu de Paris il eût habité Lyon ou Bourges.

Quand madame Grandet, par son silence, fut tombée d’accord avec lui sur tous les