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verrou à la porte, resta immobile près d’une heure sur son fauteuil. Son air était pensif, elle avait les yeux tout à fait ouverts, comme la Phèdre de M. Guérin au Luxembourg. Jamais ambitieux tourmenté par dix ans d’attente n’a désiré le ministère comme elle le souhaitait en ce moment.

« Quel rôle à jouer que celui de madame Roland au milieu de cette société qui se décompose ! Je ferai toutes les circulaires de mon mari, car il n’a pas de style.

« Je ne puis arriver à une belle position sans une passion grande et malheureuse, dont l’homme le plus distingué du faubourg Saint-Germain serait la victime. Ce fanal embrasé m’élèverait bien haut. Mais je puis vieillir dans ma position actuelle sans que je voie cet événement devenir un peu probable, tandis que les gens de cette sorte, non pas à la vérité de la nuance la plus noble, mais d’une couleur encore fort satisfaisante, [fort suffisante], m’environneront dès que M. Grandet sera ministre… madame de Vaize n’est qu’une petite sotte, et elle en regorge. Les gens sages en reviennent toujours au maître du budget. »

Les raisons se présentaient en foule à l’esprit de madame Grandet pour la confirmer dans le sentiment du bonheur