Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beauté semble annoncer, elle eût dû me couper la parole vingt fois et me mettre au pied du mur. Elle se laisse traiter comme un conscrit qu’on mène battre en duel. »

Enfin, après plusieurs minutes de propositions directes qui portèrent au plus haut point l’anxiété pénible de madame Grandet, M. Leuwen prononça ces mots d’une voix basse et profondément émue :

— Je vous avouerai, madame, que je ne puis vous aimer, car vous serez cause que mon fils mourra de la poitrine.

« Ma voix m’a bien servi, pensa M. Leuwen. Cela est juste de ton et expressif. »

Mais M. Leuwen n’était pas fait, après tout, pour être un grand politique auprès de personnages graves. L’ennui lui donnait de l’humeur, et il n’était pas sûr de pouvoir résister à la tentation de se distraire par une sortie plaisante ou insolente.

Après ce grand mot prononcé, M. Leuwen se sentit saisi d’un tel besoin d’éclater de rire qu’il s’enfuit[1].

Madame Grandet, après avoir remis le

  1. Il faut laisser le demi-jour. La peine de comprendre ôtera l’indécence pour les sots. Autrement, je dirais : Après avoir fait comprendre en des termes si honnêtes que si elle voulait courir la chance de voir son mari ministre, il fallait commencer par faire le bonheur de Lucien, M. Leuwen n’y put tenir : il s’enfuit.