Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’absoudre. Voyez ce qui arriva aux pairs qui ont condamné le maréchal Ney. En un mot, j’ai cinquante-cinq ans, donnez-moi l’assurance que vous durerez dix ans, et je vote avec vous. » Quelle horreur, monsieur, quel égoïsme ! Et cet infâme raisonnement, monsieur, je le lis dans tous les yeux.

Quand Leuwen fut bien remis de son émotion, il dit de l’air le plus froid qu’il put prendre :

— Monsieur, la conduite équivoque de la cour de Caen (j’emploie les termes les plus modérés) sera compensée par celle du président Donis, s’il me procure l’entrevue que je sollicite avec M. Le Canu, et si cette démarche reste ensevelie dans l’ombre du plus profond mystère.

— Il est onze heures et un quart, dit le président en regardant sa montre, il n’est pas impossible que le whist de mon oncle, le respectable abbé Donis-Disjonval, se soit prolongé jusqu’à ce moment. J’ai ma voiture en bas, voulez-vous, monsieur, hasarder une course qui peut être inutile ? Le respectable abbé Disjonval sera frappé de l’heure indue et ne nous en servira que mieux auprès de M. Le Canu. D’ailleurs, les espions du parti anarchiste ne pourront nous voir ; marcher de nuit est toujours le plus sûr.