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Il est étonnant que les convenances religieuses du faubourg Saint-Germain ne se soient pas encore avisées de proscrire ce jeu ! »

Au billard, Lucien commença à parler, et ne cessa presque pas. Sa gaieté augmentait à mesure que le succès de ses propos communs et lourds venait chasser l’image de l’embarras que devait lui causer l’ordre de faire la cour à madame Grandet.

D’abord, ses propos furent trop communs ; il se donnait le plaisir de se moquer lui-même de ce qu’il disait : c’était de l’esprit d’arrière-boutique, des anecdotes imprimées partout, des nouvelles de journaux, etc., etc.

« Elle a des ridicules, pensa-t-il, mais cependant elle est accoutumée à un certain taux d’esprit. Il faut des anecdotes ici, mais moins usées, des considérations lourdes sur des sujets délicats, sur la tendresse de Racine comparée à celle de Virgile, sur les contes italiens où Shakespeare a pris le sujet de ses pièces ; il ne faut jamais de mots vifs et rapides, ils passeraient inaperçus. Il n’en est peut-être pas de même des regards, surtout quand on est bien amoureux. » Et il considéra avec une admiration assez peu dissimulée les charmantes poses dans lesquelles se plaçait madame Grandet.