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mourant de faim, hommes et chevaux, repartit pour Nancy. On s’arrêta six heures dans un village fort paisible, où le pain se vendit bientôt huit sous la livre et le vin cinq francs la bouteille ; le belliqueux sous-préfet avait oublié d’y faire venir des vivres. Pour les détails militaires, stratégiques, politiques, etc., etc., de cette grande affaire, voir les journaux du temps. Le régiment s’était couvert de gloire, et les ouvriers avaient fait preuve d’une insigne lâcheté.

Telle fut la première campagne de Leuwen.

« En revenant à Nancy, se disait-il, et en supposant que nous arrivions de jour, oserai-je me présenter à l’hôtel de Pontlevé ? »

Il osa, mais il mourait de peur en frappant à la porte cochère. Le cœur lui battait tellement en sonnant à la porte de l’appartement de madame de Chasteller, qu’il se dit :

« Mon Dieu ! est-ce que je vais encore cesser de l’aimer ? »

Elle était seule, sans mademoiselle Bérard. Leuwen prit sa main avec passion. Deux minutes après, il fut sublime quand il se fut aperçu qu’il l’aimait plus que jamais. S’il avait eu un peu plus d’expérience, il se serait fait dire qu’on l’aimait.