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Malher reçut trois estafettes et, à chaque fois, il fit changer les chevaux des pièces de canon ; on mettait à pied les lanciers dont les chevaux paraissaient les plus propres à tirer les canons.

À moitié chemin, M. Fléron, le sous-préfet, rejoignit le régiment au grand trot ; il le longea de la queue à la tête, pour parler au colonel, et eut l’agrément d’être hué par les lanciers. Il avait un sabre que sa taille exiguë faisait paraître immense. Le murmure sourd se changea en éclats de rire, qu’il chercha à éviter en mettant son cheval au galop. Le rire redoubla avec les cris ordinaires : « Il tombera ! Il ne tombera pas ! »

Mais le sous-préfet eut bientôt sa revanche ; à peine engagés dans les rues étroites et sales de N***, les lanciers furent hués par les femmes et les enfants des ouvriers placés aux fenêtres des pauvres maisons, et par les ouvriers eux-mêmes, qui de temps en temps paraissaient au coin des ruelles les plus étroites. On entendait les boutiques se fermer rapidement de toutes parts.

Enfin, le régiment déboucha dans la grande rue marchande de la ville ; tous les magasins étaient fermés, pas une tête aux fenêtres, un silence de mort. On arriva sur une place irrégulière et fort longue,