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rendre en quelque sorte maître de son bonheur un être que l’on n’a vu que cinq fois ! » Et si le conteur pouvait traduire ces pensées en style pompeux et finir même par quelque allusion religieuse, les sots se diraient entre eux : « Voilà un livre moral, et l’auteur doit être un homme bien respectable. » Les sots ne se diraient pas, parce qu’ils ne l’ont encore lu que dans peu de livres recommandés par l’Académie : « avec l’élégance actuelle de nos façons polies, qu’est-ce qu’une femme peut connaître d’un jeune homme correct, après cinquante visites, si ce n’est son degré d’esprit et le plus ou moins de progrès qu’il a pu faire dans l’art de dire élégamment des choses insignifiantes ? Mais de son cœur, de sa façon particulière d’aller à la chasse du bonheur ? Rien, ou il n’est pas correct. »

Pendant cette observation morale, les deux amants avaient un air fort triste. Un peu avant l’arrivée de madame de Chasteller, Leuwen, pour excuser le prématuré de sa visite, avait proposé aux dames de Serpierre du café au Chasseur vert ; on avait accepté. Après quelques mots de politesse à madame de Chasteller et le récit de la proposition faite et acceptée, ces demoiselles quittèrent le jardin en courant, pour aller prendre leurs