Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme une ombre envieuse qui revient sur la terre pour se moquer des plaisirs des vivants. Aujourd’hui, les jeux et les ris semblent voler sur vos traces… etc., etc.

Tous ces propos assez vifs, car ces messieurs manquaient de tact, ne donnèrent pas à Leuwen le plus petit sentiment désagréable ni la moindre idée de se fâcher.

À une heure du matin, quand il fut seul avec lui-même :

« Il n’y a donc au monde que la seule madame de Chasteller, se dit-il, à laquelle je n’aie aucun plaisir à penser ? Comment vais-je me tirer de l’espèce d’engagement où je suis avec elle ? Je pourrai prier le colonel de m’envoyer à N*** faire la guerre de tronçons de chou avec les ouvriers. Il serait impoli de ne plus lui parler de rien, j’aurais l’air de m’être fait un jeu de…

« Si je vais lui dire avec sincérité qu’à la vue de son abominable petite dévote mon cœur s’est glacé, elle me méprisera comme un imbécile ou un menteur, et ne me reparlera de la vie.

« Mais quoi ! se disait Leuwen en revenant sur le principe de sa conduite, un sentiment si vif, si extraordinaire, qui remplissait ma vie à la lettre, les journées, les nuits, qui m’ôtait le sommeil, qui