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— Ne… te… fâche pas, dit-il en étouffant. Je suis fidèle… à notre traité, ce n’est pas de la partie réservée… que je ris… Et où diable… prendrais-tu ta femme honnête ?… Ah ! mon Dieu ! (et il riait aux larmes) et quand enfin un beau jour… ta femme honnête confessera sa sensibilité à ta passion, quand enfin sonnera l’heure du berger…, que fera le berger ?

— Il lui reprochera gravement qu’elle manque à la vertu, dit Lucien d’un grand sang-froid. Cela ne sera-t-il pas bien digne de ce siècle moral ?

— Pour que la plaisanterie fût bonne, il faudrait choisir cette maîtresse dans le faubourg Saint-Germain.

— Mais vous n’êtes pas duc, mais je ne sais pas avoir de l’esprit et de la gaieté en ménageant trois ou quatre préjugés saugrenus dont nous rions même dans nos salons du juste-milieu, si stupides d’ailleurs.

Tout en parlant, Lucien vint à songer à quoi il s’engageait insensiblement ; il tourna à la tristesse sur-le-champ, et dit malgré lui :

— Quoi ! mon père, une grande passion ! Avec ses assiduités, sa constance, son occupation de tous les moments ?

— Précisément.

Pater meus, transeat a me calix iste !

— Mais tu vois mes raisons.