Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeter à la Trappe. Voilà où tu en étais il y a deux mois, moi me tuant de faire comprendre que tu me ruinais en folies de jeune homme. Et en ce bel état, avec ce fichu bon sens sur la figure, tu vas te faire un ennemi du comte de Beausobre, un renard qui ne te pardonnera de la vie, car si tu parviens à faire quelque figure dans le monde et que tu t’avises de parler, tôt ou tard tu peux l’obliger à se couper la gorge avec toi, ce qu’il n’aime pas. Sans t’en douter, malgré tout ton fichu bon sens, que le ciel confonde, tu as à tes trousses huit ou dix hommes d’esprit fort bien disants, fort moraux, fort bien reçus dans le monde, et de plus espions du ministère des Affaires étrangères. Prétendras-tu les tuer en duel ? Et si tu es tué, que devient ta mère, car le diable m’emporte si je pense à toi deux mois après que je ne te verrai plus ! Et pour toi, depuis trois mois je cours les chances de prendre un accès de goutte qui peut fort bien m’emporter. Je passe ma vie à cette Bourse qui est plus humide que jamais depuis qu’on y a mis des poêles. Pour toi, je me refuse le plaisir de jouer ma fortune à quitte ou double, ce qui m’amuserait. Ainsi, tout résolument, veux-tu prendre une grande passion pour mademoiselle Gosselin ?