prolonger jusqu’au grand jour les bals qu’elle donnait et de faire déjeuner les danseurs au soleil, les volets ouverts. Si quelque jolie femme, sans se douter de ce coup de Jarnac, était restée, à l’étourdie, entraînée par le plaisir de la danse, madame Grandet triomphait ; c’était le seul moment dans la vie où son âme perdît terre, et ces humiliations de ses rivales étaient l’unique chose à quoi sa beauté lui semblât bonne. La musique, la peinture, l’amour, lui semblaient des niaiseries inventées par et pour les petites âmes. Et elle passait sa vie à goûter un plaisir sérieux, disait-elle, dans sa loge aux Bouffes, car, avait-elle soin d’ajouter, les chanteurs italiens ne sont pas excommuniés. Le matin, elle peignait des aquarelles avec un talent vraiment fort distingué ; cela lui semblait aussi nécessaire à une femme du grand monde qu’un métier à broder, et bien moins ennuyeux. Une chose marquait qu’elle n’avait pas l’âme noble, c’était l’habitude, et presque la nécessité, de se comparer à quelque chose ou à quelqu’un pour s’estimer ou se juger, par exemple aux nobles dames du faubourg Saint-Germain.
Elle avait engagé son mari à la conduire en Angleterre pour voir si elle trouverait une blonde qui eût plus de fraîcheur, et