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Elle lisait souvent les Mémoires du cardinal de Retz : ils avaient pour elle le charme qu’elle cherchait vainement dans les romans. Le rôle politique de mesdames de Longueville et de Chevreuse était pour elle ce que sont les aventures de tendresse et de danger pour un jeune homme de dix-huit ans.

« Quelles positions admirables, se disait madame Grandet, si elles eussent su se garantir de ces erreurs de conduite qui donnent tant de prise sur nous ! »

L’amour même, dans ce qu’il a de plus réel, ne lui semblait qu’une corvée, qu’un ennui. C’était peut-être à cette tranquillité d’âme[1] qu’elle devait son étonnante fraîcheur, ce teint admirable qui la mettait en état de lutter avec les plus belles Allemandes, et un air de jeunesse et de santé qui était comme une fête pour les yeux. Aussi aimait-elle à se laisser voir à neuf heures du matin, au sortir de son lit. C’est alors surtout qu’elle était incomparable ; il fallait songer au ridicule du mot pour résister au plaisir de la comparer à l’aurore. Aucune de ses rivales ne pouvait approcher d’elle sous le rapport de la fraîcheur des teintes. Aussi son bonheur était-il de

  1. Id est : à ce manque de tempérament.