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Vous n’êtes plus bon enfant. Est-ce que madame de Chasteller vous intimide ?

— Eh ! bien, oui, puisqu’il faut que je l’avoue, répondit Leuwen.

Madame de Chasteller ne put se défendre de prendre la parole, et le ton général de cette famille l’entraînant à son insu, elle parla sans sévérité. Leuwen put répondre, et pour la seconde fois de sa vie, les idées lui vinrent en foule en s’adressant à madame de Chasteller, et il sut les exprimer.

« Il y aurait de la gaucherie à montrer ici à M. Leuwen la froideur sévère que je dois avoir, se dit madame de Chasteller pour se justifier à ses propres yeux. M. Leuwen ne peut avoir reçu mes lettres… D’ailleurs, je le vois peut-être pour la dernière fois. Si mon indigne cœur continue à s’occuper de lui, je saurai bien quitter Nancy. »

L’image présentée par ces deux mots attendrit madame de Chasteller malgré elle ; c’était presque comme si elle se fût dit :

« Je quitterai le seul pays où il puisse exister pour moi un peu de bonheur. »

Au moyen de ce raisonnement, madame de Chasteller se pardonna d’être aimable et gaie sans conséquence, comme la bonne famille au milieu de laquelle elle était