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revenir au bureau, et, si je vous trouvais trop changé, donner ma démission. Le ministre est trop honnête homme (et il pensait : trop engagé avec mon père) pour me persécuter avec les grands bras de son pouvoir, mais je suis las de reculer devant le danger. (Ceci fut dit avec une chaleur contenue.) Puisque la vie, au XIXe siècle, est si pénible, je ne changerai pas d’état pour la troisième fois. Je vois très bien à quelle affreuse calomnie j’expose tout le reste de ma vie ; je sais comme est mort M. de Caulaincourt. Je vais donc agir avec la vue continue, à chaque démarche, de la possibilité de la justifier dans un mémoire imprimé.

— Peut-être, monsieur le comte, eût-il été mieux, même pour vous, de laisser ces démarches à des agents recouverts par l’épaulette : le Français pardonne beaucoup à l’uniforme…

Le ministre fit un mouvement.

— Je ne veux, monsieur, ni vous donner des conseils, non demandés ni d’ailleurs tardifs, ni encore moins vous insulter. Je n’ai pas voulu vous demander une heure pour réfléchir, et naturellement j’ai pensé tout haut.

Cela fut dit d’un ton si simple, mais en même temps si mâle, que la figure morale de Lucien changea aux yeux du ministre.