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de mépris sur les gens de lettres salariés.

Il faut avouer, continua le ministre en riant, que, quelque adresse qu’y mettent messieurs de la littérature, le public ne lit plus ces querelles dans lesquelles deux ouvriers maçons auraient assassiné trois grenadiers, armés de leurs sabres, sans l’intervention miraculeuse du poste voisin. Les soldats, même dans les casernes, se moquent de cette partie de nos journaux, que je fais jeter dans les corridors. Dans cet état de choses, ce diable de N…, tourmenté par les deux étoiles qui sont sur ses épaulettes, a entrepris d’avoir des faits. Or, mon ami, ajouta le ministre en baissant la voix, l’affaire Kortis[1], si vertement démentie dans nos journaux d’hier matin, n’est que trop vraie. Kortis, l’un des hommes les plus dévoués du général N…, un homme à 300 francs par mois, a entrepris mercredi passé de désarmer un conscrit bien niais qu’il guettait depuis huit jours. Ce conscrit fut mis en sentinelle au beau milieu du pont d’Austerlitz[2] à minuit. Une demi-heure après, Kortis s’avance en imitant l’ivrogne. Tout à coup, il se jette sur le conscrit et veut lui arracher son fusil. Ce diable de conscrit, si

  1. Modèle : Corteys
  2. Stendhal avait laissé en blanc le nom du pont, il ne le désigne que plus loin. N. D. L. E.