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comparez les pièces au rapport, et dites-moi votre avis.

Lucien admira la physionomie du ministre ; elle était convenable, raisonnable, sans morgue. Il se mit sérieusement au travail. Trois heures après, Leuwen écrivit au ministre :

« Ce rapport n’est point approfondi ; ce sont des phrases ; M. N… ne convient franchement d’aucun fait, je n’ai pas trouvé une seule assertion sans quelque faux-fuyant. M. N. ne se lie nullement. C’est une dissertation bien écrite, redondante d’humanités, c’est un article de journal, mais l’auteur semble brouillé avec Barrême. »

Quelques minutes après le ministre accourut, ce fut une explosion de tendresse. Il serrait Lucien dans ses bras :

— Que je suis heureux d’avoir un tel capitaine dans mon régiment ! Etc.

Leuwen s’attendait à avoir beaucoup de peine à être hypocrite. Ce fut sans la moindre hésitation qu’il prit l’air d’un homme qui désire voir finir l’accès de confiance ; c’est qu’à cette seconde entrée M. de Vaize lui parut un comédien de campagne qui charge beaucoup trop. Il le trouva manquant de noblesse presque autant que le colonel Malher, mais l’air faux était bien plus visible chez le ministre.