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la dernière soirée à Nancy. Son premier remords fut de n’avoir pas écrit à M. Gauthier ; il lui fit une lettre infinie et, il faut l’avouer, assez imprudente. Il signa d’un nom en l’air et chargea le préfet de Strasbourg de la mettre à la poste.

« Venant de Strasbourg, se dit-il, peut-être elle échappera à madame Cunier et au commissaire de police du renégat Dumoral. »

Il fut curieux de suivre dans les divers bureaux la correspondance de ce Dumoral, dont le comte de Vaize semblait avoir peur. On était alors dans tout le feu des élections et des affaires d’Espagne. La correspondance de M. Dumoral, parlant de Nancy, l’amusa infiniment ; il s’agissait de M. de Vassignies, homme très dangereux, de M. Du Poirier, personnage moins à craindre dont on aurait raison avec une croix et un bureau de tabac pour sa sœur, etc. Ces pauvres préfets, mourant de peur de manquer leurs élections et exagérant leur embarras à leur ministre, avaient le pouvoir de le tirer de sa mélancolie.

Telle était la vie de Leuwen : six heures au bureau de la rue de Grenelle, le matin, une heure au moins à l’Opéra le soir. Son père, sans le lui dire, l’avait précipité dans un travail de tous les moments.