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lité, ce qui choqua beaucoup le ministre. Lucien le vit et continua à parler avec une aisance qui l’étonna et l’amusa.

Il aimait à se trouver avec madame de Vaize, jolie, très timide, bonne, et qui en lui parlant oubliait parfaitement qu’elle était une jeune femme et lui un jeune homme. Cet arrangement convenait beaucoup à notre héros.

« Ainsi, me voilà, se disait-il, sur le ton de l’intimité avec deux êtres dont je ne connaissais pas la figure il y a huit jours, et dont l’un m’amuse surtout quand il m’attaque et l’autre m’intéresse. »

Il mit beaucoup d’attention à sa besogne ; il lui sembla que le ministre voulait prendre avantage de l’erreur de nom dans l’invitation à dîner pour lui attribuer l’aimable légèreté de la première jeunesse.

« Vous êtes un grand administrateur, M. le comte ; en ce sens, je vous respecte ; mais l’épigramme à la main je suis votre homme, et, vu vos honneurs, j’aime mieux risquer d’être un peu trop ferme que vous laisser empiéter sur ma dignité. Cela vous indiquera d’ailleurs que je me moque parfaitement de ma place, tandis que vous adorez la vôtre. »

Au bout de huit jours de cette vie-là, Lucien fut de retour sur la terre ; il avait surmonté l’ébranlement produit par