Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et la fortune de mon père. J’y pourrais peut-être ajouter des marquises de province, si l’amitié intime des marquis n’était pas trop fastidieuse. »

Tout en faisant ces réflexions sur son peu de talent, et en attendant son domestique, Leuwen avait profité de son cahier de papier blanc pour composer une seconde lettre qu’il trouva plus céladon encore et plus plate que celle qui était à la poste.

Ce soir-là, il n’alla point au billard Charpentier, son amour-propre d’auteur était trop humilié du ton dont il s’était trouvé incapable de sortir dans ses deux lettres. Il passa la nuit à en composer une troisième qui, mise au net convenablement et écrite en caractères lisibles, se trouva avoir atteint la formidable longueur de sept pages. Il y travailla jusqu’à trois heures ; à cinq, en allant à la manœuvre, il eut le courage de l’envoyer à la poste à Darney.

« Si le courrier de Paris retarde un peu, madame de Chasteller recevra celle-ci en même temps que mon petit barbouillage écrit sur la route, et peut-être me trouvera-t-elle un peu moins imbécile. »

Par bonheur pour lui, le courrier de Paris avait passé quand cette seconde lettre arriva à Darney, et madame de Chasteller ne reçut que la première.