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indice politique qu’il eut fut celui-ci : sa mère lui dit :

— Tu écris bien mal ; tu ne formes pas tes lettres.

— Il n’est que trop vrai.

— Eh bien ! si tu vas rue de Grenelle, écris encore plus mal, que jamais ton écriture ne puisse passer sous les yeux du roi sans être recopiée, cela te sauvera de l’ennui de transcrire des pièces secrètes et, ce qui vaut mieux, ton écriture ne restera pas attachée à des choses qui peuvent être un souvenir pénible dans dix ans. Grâce à Dieu, mon cher Lucien, tu as trente-huit ans de moins que le roi. Vois les changements qui ont eu lieu en France depuis trente-huit ans. Pourquoi l’avenir ne ressemblerait-il pas au passé ? La révolution est faite dans les choses, dit toujours ton père pour me tranquilliser. Mais une ambition effrénée n’est-elle pas descendue dans les rangs les plus infimes ? Un garçon cordonnier veut devenir un Napoléon.

Une conversation politique ne finit jamais, celle-ci se prolongea à l’infini entre une mère femme d’esprit et un fils inquiet de ce qu’on allait faire de lui. Pour la première fois, le fantôme importun de Nancy ne vint pas emporter l’attention de Leuwen.]