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Et M. Leuwen père s’enfuit de sa loge. Lucien remarqua qu’il marchait comme un homme de vingt ans. C’est que cette conversation avec un niais l’avait mortellement excédé[1].

Lucien, étonné d’avoir pris intérêt à la politique, regardait la salle de l’Opéra.

« Me voici au milieu de ce qu’il y a de plus élégant à Paris. Je vois ici à profusion tout ce qui me manquait à Nancy. »

À ce nom chéri, il tira sa montre.

« Il est onze heures. Dans nos jours de confiance intime ou de grande gaieté, je prolongeais jusqu’à onze heures ma visite du soir. »

Une idée bien lâche, qu’il avait déjà repoussée plusieurs fois, se présenta avec une vivacité à laquelle il ne put résister :

« Si je campais là le ministère, et re-

    pour qu’une fois initié dans les affaires de télégraphe, son fils ne vînt pas à déranger la machine par dégoût.

  1. [Et M. Leuwen père s’enfuit de sa loge, où bientôt affluèrent les belles demoiselles et à leur suite deux ou trois viveurs de tous les âges, comme M. Leuwen père. Tout le monde était bien venu à lui adresser une épigramme ; il répondait s’il pouvait, et ne se fâchait jamais ; mais, à moins d’être provoqué, personne chez lui ne se serait hasardé à lui parler de choses sérieuses. Lucien voyait fort bien cet usage. Pendant que tout Paris parlait de la démission des cinq ministres et de la formation d’un nouveau ministère, Lucien, voyant sans cesse une des personnes le mieux instruites, par dignité n’osait pas lui parler politique. Plusieurs fois, les jours suivants, il fut tenté de parler politique à son père. « Mais j’aurais l’air de revenir sur notre marché », pensa-t-il. Et il se tut.]