Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passer à la Guerre pour que votre congé antidaté arrive au colonel. Écrivez-lui de votre côté, et tâchez de le séduire[1].

— Je voulais vous parler de l’Abbaye. Je pensais à deux jours de prison, et à remédier à tout par ma démission…

— Pas de démission, mon ami ; il n’y a que les sots qui donnent leur démission. Je prétends bien que vous serez toute votre vie un jeune militaire de la plus haute distinction attiré par la politique, une véritable perte pour l’armée, comme disent les Débats. »

  1. [Lettre à M. le lieutenant-colonel Filloteau, commandant dans le 25e de lanciers.
    Mon colonel,

    J’ai à vous demander bien des pardons. Le 11 du courant, je reçus à cinq heures du soir une lettre en quatre lignes du ministère de la guerre portant l’ordre de me rendre à Paris en toute hâte et sans nul délai. Votre colonel est prévenu de la présente disposition, disait Son Excellence. J’eus l’honneur de me présenter deux fois chez vous. Désolé de ne pas vous trouver, j’appris que vous étiez au Chasseur vert. J’y courus, mais vous n’y étiez point. Il se faisait tard, l’ordre était de partir sans nul délai. J’eus l’honneur de vous écrire avant de partir ; j’apprends avec le plus profond regret que mon domestique a égaré ma lettre. Je serais désolé que vous pussiez voir dans ce malheur, par moi vivement senti, un manque de respect. J’avais des devoirs précis envers mon colonel, j’en avais de non moins sacrés envers le chef obligeant qui a daigné me protéger. Je devais à mes camarades l’expression du regret de les quitter…

    Ne devant pas, suivant toute apparence, retourner de longtemps au régiment, je vous prie, mon colonel, d’accepter le don de mes chevaux. Etc., etc.]