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Filloteau qui, par bonheur, commandait le régiment, qu’il était malade, et sortit de Nancy fort matin, espérant n’être pas vu.

Ce fut dans cette promenade solitaire qu’il sentit en plein toute l’étendue de son malheur.

« Je ne puis plus aimer Bathilde ! » se disait-il tout haut de temps en temps.

À neuf heures du matin, comme il se trouvait à six lieues de Nancy, l’idée d’y rentrer lui parut horrible.

« Il faut que j’aille à Paris à franc étrier, voir ma mère. »

Ses devoirs comme militaire avaient disparu à ses yeux, il se sentait comme un homme qui approche des derniers moments. Toutes les choses du monde avaient perdu leur importance à ses yeux, deux objets surnageaient seuls : sa mère et madame de Chasteller.

Pour cette âme épuisée par la douleur, l’idée folle de ce voyage fut comme une consolation, la seule qu’il entrevît. C’était une distraction.

Il renvoya son cheval à Nancy et écrivit au colonel Filloteau pour le prier de ne pas faire parler de son absence.

« Je suis mandé secrètement par le ministre de la Guerre. »

Ce mensonge se trouva sous sa plume