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tout. Il y avait tant de malheur, tant d’assurance, d’obéir ponctuellement dans ce mot, que madame de Chasteller en fut comme désarmée. Elle avait rassemblé tout son courage pour combattre un être fort, et elle trouvait l’extrême faiblesse. En un instant tout changeait, elle n’avait plus à craindre de manquer de résolution, mais bien plutôt de prendre un ton trop ferme, d’avoir l’air d’abuser de la victoire. Elle eut pitié du malheur qu’elle causait à Leuwen.

Il fallait continuer cependant. D’une voix éteinte et avec des lèvres pâles et comprimées avec effort pour tâcher d’avoir l’air de la fermeté, elle expliqua à notre héros les raisons qui lui faisaient désirer de le voir moins souvent et moins longtemps, tous les deux jours par exemple. Il s’agissait d’éviter de faire naître des idées, bien peu fondées sans doute, au public qui commençait à s’occuper de ces visites, et à mademoiselle Bérard surtout, qui était un témoin bien dangereux.

Madame de Chasteller eut à peine la force d’achever ces deux ou trois phrases. La moindre objection, le moindre mot, quel qu’il fût, de Leuwen, renversait tout ce projet. Elle avait une vive pitié du malheur où elle le voyait, elle n’eût jamais eu le courage de persister, elle le sentait.