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on fut émerveillé de sa gaieté et de son esprit.

« Il a de mauvais principes, il est immoral, mais il est vraiment éloquent, » disait-on chez madame de Puylaurens.

— Mon ami, vous vous gâtez, lui dit un jour cette femme d’esprit.

Il parlait pour parler, il soutenait le pour et le contre, il exagérait et chargeait les circonstances de tout ce qu’il racontait, et il racontait beaucoup et longuement. En un mot, il parlait comme un homme d’esprit de province, aussi son succès fut-il immense : les habitants de Nancy reconnaissaient ce qu’ils avaient l’habitude d’admirer ; auparavant, on le trouvait singulier, original, affecté, souvent obscur.

Le fait est qu’il avait une frayeur mortelle de laisser deviner ce qui se passait dans son cœur. Il se voyait espionné et surveillé de près par le docteur Du Poirier, qu’il commençait de soupçonner d’avoir fait son marché avec M. Thiers, homme d’esprit ministre de la police de Louis-Philippe. Mais Leuwen ne pouvait rompre avec Du Poirier. Il ne fût pas même parvenu à l’éloigner de lui en cessant de lui parler. Du Poirier étant ancré dans cette société, il y avait présenté Leuwen, et rompre avec lui eût été fort ridicule, et de plus fort embarrassant. Ne rompant pas