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dans la boue[1] qui a fait les étrangers si insolents[2], ma foi, ce n’est pas la peine. » Et tout le plaisir de braver le danger, de se battre en héros, fut flétri à ses yeux. Par amour pour l’uniforme, il essaya de songer aux avantages du métier : avoir de l’avancement, des croix, de l’argent… « Allons, tout de suite, pourquoi pas piller l’Allemand ou l’Espagnol, comme N… ou N… ? »

Sa lèvre, en exprimant le profond dégoût, laissa tomber le petit cigare sur le beau tapis, présent de sa mère ; il le releva précipitamment ; c’était déjà un autre homme ; la répugnance pour la guerre avait disparu.

« Bah ! se dit-il, jamais la Russie, ni les autres despotismes purs ne pardonneront aux trois journées[3]. Alors il sera beau de se battre. »

Une fois rassuré contre cet ignoble contact avec les amateurs d’appointements, ses regards reprirent la direction du canapé, où le tailleur militaire venait d’exposer l’uniforme de sous-lieutenant. Il se figurait la guerre d’après les exercices du canon au bois de Vincennes.

  1. Expression du général Maximilien Lamarque.
  2. Ce jeune homme a encore le langage de son ancien parti : c’est un républicain qui parle.
  3. Les 27, 28, 29 juillet 1830, à Paris. (Note de Colomb.)