Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/406

Cette page a été validée par deux contributeurs.

monta à cheval et fit cinq ou six lieues en deux heures. Il se fuyait lui-même : ce que la soif physique a de plus poignant, il l’éprouvait au moral par le besoin de soumettre sa raison à celle d’un autre homme et de demander conseil. Il se sentait juste assez de raison pour croire et sentir qu’il devenait fou ; cependant, tout son bonheur au monde dépendait de l’opinion qu’il devait se former de madame de Chasteller.

Il avait eu le bon esprit de ne pas sortir des bornes de la plus étroite réserve avec aucun des officiers du régiment. Il n’avait donc personne auprès de qui il pût se fortifier, même de la ressource du raisonnement le plus vague et le plus lointain. M. Gauthier était absent, et d’ailleurs, croyait-il, n’eût compris sa folie que pour l’en gronder et l’engager à s’éloigner.

En revenant de sa promenade, il éprouva, en repassant dans la rue de la Pompe, un mouvement de folie qui l’étonna. Il lui semblait que s’il eût rencontré les yeux de madame de Chasteller, il fût tombé de cheval pour la troisième fois. Il ne se sentit pas le courage de fuir, et n’alla point chez le colonel.

M. Gauthier arriva le même soir de la campagne. Leuwen voulut lui parler en termes éloignés de sa position, le tâter, comme on dit. Voici ce que lui dit Gauthier,