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s’il eût pu le porter à son point d’achèvement. L’étude de son manuscrit est à ce point de vue fort instructive. On y voit combien chaque expression est pesée, et quel scrupule infini de la vraisemblance est le sien. À tout bout de champ il établit des tables de concordances, et il n’écrit pas la moindre allusion à un fait politique, à un événement réel, à une date d’histoire, à une distance entre deux villes, à un usage militaire, à un traitement public sans indiquer qu’il faudra tout contrôler, sans surcharger le mot douteux de cette mention mille fois répétée dans son manuscrit : « à vérifier ».

Il marque encore d’une petite croix les répétitions et les termes qui lui semblent impropres ou faibles. Mais jamais il n’interrompt pour cela son travail, et, par crainte de tarir l’inspiration, sans cesse il va de l’avant.

Une autre de ses préoccupations c’est son style. Il entend bien l’alléger, lui donner de la grâce et surtout cette clarté qu’il admire tant dans le code civil. Il espère atteindre ce « style raisonnable, qui décrit raisonnablement même les plus grands écarts de la passion », et qu’il oppose, en termes impossibles à reproduire, au style voluptueux de J.-J. Rousseau. Il corrige parfois ses phrases mais, dit-il : « Je ne corrige une phrase pour le style que quand je suis sûr