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qui font l’occupation de la plupart des hommes n’en sont que plus disposés à s’occuper uniquement des choses qui, une fois, ont pu parvenir à les toucher[1].

[Madame de Chasteller avait reçu du ciel un esprit vif, clairvoyant, profond, mais elle était bien loin de se croire un tel esprit. Les Bourbons étaient malheureux, et elle ne songeait qu’au moyen de les servir. Elle se figurait qu’elle leur devait tout. Discuter ce qu’elle leur devait eût été une lâcheté et une bassesse à ses yeux.

Elle ne se croyait aucun talent, elle s’objectait le nombre de fois qu’elle s’était trompée en politique et jusque dans les moindres affaires. Elle ne voyait pas que c’était en suivant les avis des autres qu’elle se trompait ; si elle eût suivi dans les petites choses comme dans les grandes le premier aperçu de son esprit, rarement elle eût eu à s’en repentir. Un froid philosophe qui eût voulu juger cette âme cachée derrière une si jolie figure y eût remarqué une disposition singulière au dévouement profond et une horreur également irraisonnable pour tout ce qui était faux ou hypocrite. Depuis la chute des Bourbons à la Révolution de juillet, elle n’avait eu

  1. Ici finit la première partie du manuscrit de Lucien Leuwen, la partie recopiée et corrigée que Colomb a publiée sous le titre du Chasseur vert. N. D. L. É.