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bien humiliante à seize, à sa dernière année de collège. C’était par un pur hasard qu’il avait pris le ton d’un homme habile. Certainement il n’était pas expert dans l’art de disposer d’un cœur de femme et de faire naître des sensations.

Ce ton si singulier, si attrayant, si dangereux, n’était que choquant et à peu près inintelligible pour M. de Blancet, qui, toutefois, tenait à mêler son mot dans la conversation. Lucien s’était emparé d’autorité de toute l’attention de madame de Chasteller. Quelque effrayée qu’elle fût, elle ne pouvait se défendre d’approuver beaucoup les idées de Lucien, et quelquefois répondait presque sur le même ton ; mais, sans cesser précisément d’écouter avec plaisir, elle finit par tomber dans un profond étonnement.

Elle se disait pour justifier ses sourires un peu approbateurs : « Il parle de tout ce qui se passe au bal et jamais de soi. » Mais, dans le fait, la manière dont Lucien osait l’entretenir de toutes ces choses si indifférentes était parler de soi et usurper un rang qui n’était pas peu de chose auprès d’une femme de l’âge de madame de Chasteller, et surtout accoutumée à autant de retenue : ce rang eût été unique, rien de moins.

D’abord madame de Chasteller fut