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Presque tous les nombreux personnages qui tiennent un rôle dans Lucien Leuwen doivent de la même manière quelques-uns de leurs traits caractéristiques à des gens rencontrés par Beyle au cours d’une existence particulièrement nomade. Presque jamais cependant ils ne reproduisent servilement la ressemblance totale d’un contemporain ; ils sont plutôt composés par la fusion intime de plusieurs observations faites sur des plans différents. L’un d’eux peut ainsi sembler la réplique physique d’un être réel et tenir d’un autre son moral. Madame Grandet a reçu d’une certaine dame Gourieff sa beauté blonde et tient son caractère un peu vulgaire de madame Horace Vernet que Stendhal voyait fréquemment à Rome. Sa froideur serait celle de madame de Sainte-Aulaire, tandis que sa jalousie doit beaucoup aux transports observés par Stendhal chez sa maîtresse, madame Clémentine Curial. Marcel Proust, dans ses lettres, affirmait en user ainsi. Et c’est, je pense, la bonne méthode pour un romancier. Tous ces emprunts chez Stendhal sont fondus avec tant de bonheur que le personnage en reçoit une vie singulière, à quoi se reconnaît au premier chef la profondeur du don psychologique de son créateur. Celui-ci maintient constamment un juste équilibre entre l’altitude corporelle, les