Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/349

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tout le brillant, tout l’esprit de Lucien disparurent en un clin d’œil. Elle avait une simple robe blanche, et sa toilette montrait une simplicité qui eût semblé bien ridicule aux jeunes gens de ce bal, si elle eût été sans fortune. Les bals sont des jours de bataille dans ces pays de puérile vanité, et négliger un avantage passe pour une affectation marquée. On eût voulu que madame de Chasteller portât des diamants ; la robe modeste et peu chère qu’elle avait choisie était un acte de singularité qui fut blâmé avec affectation de douleur profonde par M. de Pontlevé, et désapprouvé, en secret, même par le timide M. de Blancet, qui lui donnait le bras avec une dignité plaisante.

Ces messieurs n’avaient pas tout à fait tort ; le trait le plus marquant du caractère de madame de Chasteller était une nonchalance profonde. Sous l’aspect d’un sérieux complet et que sa beauté rendait imposant, elle vivait avec un caractère heureux et même gai. Rêver était son plaisir suprême. On eût dit qu’elle ne faisait aucune attention aux petits événements qui l’environnaient ; aucun ne lui échappait au contraire : elle les voyait fort bien, et c’étaient même ces petits événements qui servaient d’aliment à cette rêverie, qui passait pour de la hauteur. Aucun détail