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pensa-t-il. Au milieu des bougies, dans le lieu le plus noble, était placé, comme une sorte d’ostensoir, le portrait d’un jeune Écossais. Dans la physionomie de cet enfant, le peintre, qui pensait mieux sans doute qu’il ne dessinait, avait cherché à réunir aux sourires aimables du premier âge un front chargé des hautes pensées du génie. Le peintre était ainsi parvenu à faire une caricature étonnante et qui tenait du monstre.

Toutes les femmes qui entraient dans la salle de bal la traversaient rapidement pour aller se placer devant le portrait du jeune Écossais. Là, on restait un instant en silence, et l’on affectait un air fort sérieux. Puis, en s’en allant, on reprenait la physionomie plus gaie du bal, et on allait saluer la maîtresse de la maison. Deux ou trois dames qui s’approchèrent de madame de Marcilly avant d’être allées au portrait, en furent reçues fort sèchement et parurent tellement ridicules, que l’une d’elles jugea à propos de se trouver mal. Lucien ne perdait pas un détail de tout ce cérémonial. « Nous autres aristocrates, se disait-il en riant, en nous tenant unis, nous ne craignons personne ; mais aussi que de sottises il faut regarder sans rire ! Il est plaisant, pensait-il, que ces deux rivaux, Charles X et Louis-Philippe,