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seuls pouvaient marier les six filles du vieux lieutenant du roi, ce n’était pas un petit honneur que d’être invité à dîner dans cette maison. Aussi madame de Serpierre balança-t-elle longtemps avant d’inviter Lucien, son nom était bien bourgeois ; mais enfin l’utilité l’emporta, comme il est d’usage au dix-neuvième siècle : Lucien était un jeune homme à marier.

La bonne et simple Théodelinde n’approuvait point du tout cette politique ; mais il fallait obéir. La place de Lucien fut indiquée à côté de la sienne, par les petits billets placés sur les serviettes. Le vieux lieutenant du roi avait écrit : « M. le chevalier Leuwen. » Théodelinde comprit que Lucien serait choqué de cet anoblissement impromptu.

On avait engagé madame de Chasteller parce qu’elle n’avait pu venir à un autre dîner donné deux mois auparavant, quand M. de Pontlevé avait la goutte. Théodelinde, toute honteuse de la haute politique de sa mère, obtint avec beaucoup de peine, au moment où les hôtes allaient arriver, que la place de madame de Chasteller fût marquée à droite de M. le chevalier Leuwen, tandis qu’elle occuperait la gauche.

Lorsque Lucien arriva, madame de Serpierre le prit à part et lui dit avec toute la fausseté d’une mère qui a six filles à marier :