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Henri Beyle à se poser la même interrogation passionnée : « Qu’ai-je été, que suis-je ? En vérité je serais embarrassé de le dire. »

Madame de Chasteller, nous venons de le voir, est un vivant portrait de Mathilde Viscontini. Beyle se souvient de son intimité souvent obscurcie de nuages avec l’épouse du général Dembowski pour peindre les amours tourmentées de Lucien et de Bathilde. Un jour il rouvre son manuscrit et tombe sur cette phrase : « Madame de Chasteller aimait surtout que Leuwen lui confiât ses idées sur elle-même. » Et il ajoute mélancoliquement en note : « With Méthilde, Dominique a trop parlé. »

Ceux qui aiment à se représenter un Beyle égoïste et sec, ne seront-ils pas étonnés d’apprendre qu’il put être malheureux par excès de confiance et de tendresse ? Mais ses vrais amis le retrouveront tout entier dans ce trait nouveau.

Le portrait n’est cependant pas fait entièrement d’après un seul modèle, et les autres femmes que Beyle a connues ou aimées ont aussi posé devant lui et lui ont encore fourni quelques touches nécessaires à la perfection de sa toile. Il emprunte à l’une en outre une façon de parler, à l’autre un geste, à la troisième une réplique ou un air de hauteur pour en gratifier à tour de rôle les dames de la société de Nancy et les animer.