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se souvenir que lui, Lucien, était du camp ennemi, et jamais il ne put arriver à une réponse nette. Il ne pouvait aborder un tel sujet avec son amie mademoiselle Théodelinde, et c’était, en vérité, le seul être qui semblât ne pas désirer le tromper. Lucien n’arriva jamais à savoir la vérité sur M. de Busant. Le fait est que c’était un fort bon et fort brave gentilhomme, mais sans aucune sorte d’esprit. À son arrivée à Nancy, se méprenant sur l’accueil dont il était l’objet, et oubliant sa taille épaisse, son regard commun et ses quarante ans, il s’était porté amoureux de madame de Chasteller. Il avait constamment ennuyé son père et elle de ses visites, et jamais elle n’avait pu parvenir à rendre ces visites moins fréquentes. Son père, M. de Pontlevé, tenait à être bien avec la force armée de Nancy. Si ses correspondances bien innocentes avec Charles X étaient découvertes, qui serait chargé de l’arrêter ? Qui pourrait protéger sa fuite ? Et si, tout à coup, l’on apprenait que la République était proclamée à Paris, qui pourrait le protéger contre le peuple du pays ?

Mais le pauvre Lucien était bien loin de pénétrer tout ceci. Il voyait constamment M. Du Poirier éluder ses questions avec une adresse admirable.

Dans la bonne compagnie on lui répétait