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« Non, reprit-il en se levant avec une sorte de fureur, des pensées basses ne sauraient exister avec une physionomie si noble… Et quand elle les aurait, ces idées seraient celles de sa caste. Elles ne sont pas ridicules chez elle, parce qu’elle les a adoptées en étudiant son catéchisme, à six ans ; ce ne sont pas des idées, ce sont des sentiments. La noblesse de province fait grande attention aux livrées et au vernis des voitures.

« Mais pourquoi ces vaines délicatesses ? Il faut avouer que je suis bien ridicule. Ai-je le droit de m’enquérir de qualités si intimes ? Je voudrais passer quelques soirées dans le salon où elle va le soir… Mon père m’a porté le défi de m’ouvrir des salons de Nancy, j’y suis admis. Cela était assez difficile ; mais il est temps d’avoir quelque chose à faire au milieu de ces salons. J’y meurs d’ennui, et l’excès de l’ennui pourrait me rendre inattentif ; ce que la vanité de ces hobereaux, même les meilleurs, ne me pardonnerait jamais.

« Pourquoi ne me proposerais-je pas, pour avoir un but dans la vie, comme dit mademoiselle Sylviane, de parvenir à passer quelques soirées avec cette jeune femme ? J’étais bien bon de penser à l’amour et de me faire des reproches ! Ce passe-temps ne m’empêchera pas d’être