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de peur quand le courrier de Paris retarde de quatre heures ; alors ils viennent me vendre d’avance leur récolte de blé ; ils sont à mes genoux pour avoir de l’or, et, le lendemain, rassurés par le courrier qui, enfin, est arrivé, ils ne me rendent qu’à peine mon salut dans la rue. Moi, je ne crois pas manquer à la probité en tenant note de chaque impolitesse et la leur faisant payer un louis. Je m’arrange pour cela avec le valet de chambre qu’ils envoient me livrer leurs grains ; car, quoique fort avares, croiriez-vous, monsieur, qu’ils n’ont pas même le cœur de venir voir mesurer leur blé ? Au quatrième ou cinquième double décalitre, le gros M. de Sanréal prétend que la poussière lui fait mal à la poitrine ; drôle de particulier pour rétablir les corvées, les jésuites et l’ancien régime contre nous !

Un soir, comme les officiers se promenaient sur la place d’Armes après l’ordre, le colonel Malher de Saint-Mégrin céda à un mouvement de haine contre notre héros.

— Qu’est-ce que ces quatre ou cinq livrées de couleur éclatante et avec des galons énormes que vous étalez dans les rues ? Cela fait un mauvais effet au régiment.

— Ma foi, colonel, aucun article du