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les espions les uns des autres, et c’est ce qui, pendant les premiers mois, dérobe un peu à l’étranger la stérilité de leur esprit. Quand le mari s’apprête à faire à cet étranger une histoire connue de sa femme et de ses enfants, on voit ceux-ci brûlant de prendre la parole et de la voler à leur père, pour narrer eux-mêmes le conte ; et, souvent, sous prétexte d’ajouter une nouvelle circonstance oubliée, ils recommencent l’histoire. »

Quelquefois, de guerre lasse, au lieu de faire sa toilette en descendant de cheval et d’aller dans la noble société, Lucien restait à boire un verre de bière avec son hôte, M. Bonard.

— J’irais offrir cent louis à M. le préfet lui-même, disait un jour à Lucien ce brave industriel, fort peu respectueux envers le pouvoir ; j’irais offrir cent louis pour obtenir la permission de faire entrer deux mille sacs de blé venant de l’étranger ; et cependant son père a vingt mille francs d’appointements.

Bonard n’avait pas plus de respect pour la noblesse du pays que pour les magistrats.

— Sans le docteur Du Poirier, disait-il à Lucien, ces b.....-là ne seraient pas trop méchants ; vous le recevez bien souvent, monsieur, prenez garde à vous ! Les nobles de ce pays-ci, ajoutait Bonard, crèvent