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en 1710, avec cinquante mille livres de rente ! »

Les beaux raisonnements que Lucien endurait tous les soirs et que le lecteur n’a endurés qu’une fois étaient la profession de foi de tout ce qui, dans la noblesse de Nancy et de la province, s’élevait un peu au-dessus des innocentes répétitions des articles de la Quotidienne, de la Gazette de France, etc., etc. Après un mois de patience, Lucien arriva à trouver réellement intolérable la société de ces grands et nobles propriétaires, parlant toujours comme si eux seuls existaient au monde, et ne parlant jamais que de haute politique, ou du prix des avoines.

Cet ennui n’avait qu’une exception : Lucien était tout joyeux quand, arrivant à l’hôtel de Puylaurens, il était reçu par la marquise. C’était une grande femme de trente-quatre ou trente-cinq ans, peut-être davantage, qui avait des yeux superbes, une peau magnifique, et, de plus, l’air de se moquer fort de toutes les théories du monde. Elle contait à ravir, donnait des ridicules à pleines mains et presque sans distinction de parti. Elle frappait juste en général, et l’on riait toujours dans le groupe où elle était. Volontiers Lucien en eût été amoureux ; mais la place était prise, et la grande occupation de madame de Puylau-