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ensemble. Le plus souvent même il ne fait ces plans que rétrospectivement : après avoir terminé un chapitre, un épisode, il y revient et en tire un court résumé pour enchaîner avec la partie non encore écrite, pour bien fixer les événements, pour ne plus rien oublier, et pour ajouter, à ce qui a été agencé, un trait nouveau, un détail caractéristique, ou introduire un personnage dont il sent la nécessité et qu’il veut présenter antérieurement à l’époque où il doit jouer son principal rôle. Ces petites notes, il les appelle des pilotis, elles servent de soubassements cachés à son œuvre, il pourra construire solidement sur elles sans craindre de s’égarer, ce sont des sortes d’échafaudages pour lui-même, « pour éviter quelque contradiction dans les petits mots de description de saisons et autrement ». Mais il a bien l’intention dans le livre de laisser cette chronologie dans le vague. Il écrit : « Je fais le plan après avoir fait l’histoire, comme dicte le cœur, autrement l’appel à la mémoire tue l’imagination (chez moi du moins). »

Cette lutte perpétuelle entre la mémoire et l’imagination l’oblige ainsi à tout noter pour ne rien laisser perdre des mille détails, des nuances fugitives de sentiments qui tout d’un coup lui viennent à l’idée et qu’il n’est pas certain de retrouver sous sa plume quand le moment sera venu de les placer.