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qui n’ont que du courage ; l’essentiel, pour votre amour-propre, est de faire preuve, dans ce siècle douteux, du seul genre de mérite que l’on ne puisse pas accuser d’hypocrisie. L’homme que le feu du canon prussien ne fait pas sourciller ne peut point être un hypocrite de bravoure ; tandis que tirer le sabre contre des ouvriers qui se défendent avec des fusils de chasse, et qui sont quatre cents contre dix mille, ne prouve absolument rien, que l’absence de noblesse dans le cœur et l’envie de s’avancer. Remarquez l’effet sur l’opinion : dans cet ignoble duel, l’admiration pour la bravoure sera toujours, comme à Lyon, pour le parti qui n’a ni canon ni pétard. Mais raisonnons comme Barême ; même en tuant beaucoup d’ouvriers, il vous faudra six ans au moins, monsieur le sous-lieutenant, pour perdre ce sous fatal[1], etc., etc. »

« On dirait que cet animal-là me connaît depuis six mois, » se disait Lucien. Ces choses, d’une nature si personnelle et qui peut-être paraissent offensantes, perdent tout à être écrites. Il fallait les voir dire par un fanatique plein de fougue, mais qui savait avoir de la grâce, et

  1. Dès 1835, et jusqu’à la Révolution du 24 février 1848, ce langage était aussi, à peu de chose près, celui du parti libéral. (Note de R. Colomb.)