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Le chirurgien-major du régiment, le chevalier Bilars, comme il se faisait appeler, sorte de charlatan assez bon homme, natif des Hautes-Alpes, parut le lendemain de bonne heure. L’épée de l’adversaire avait passé près de l’artère. Le chevalier Bilars exagéra le danger, qui était nul, et vint deux ou trois fois pendant la journée. La bibliothèque du brave sous-lieutenant, comme disait le chevalier, se trouvait fournie des meilleures éditions, telles que kirsch-wasser de 1810, cognac de douze ans, anisette de Bordeaux de Marie Brizard, eau-de-vie de Dantzig chargée de paillettes d’or, etc., etc. Le chevalier Bilars, qui aimait la lecture, passait chez le blessé des journées entières, ce qui ennuyait fort Lucien ; mais, par compensation, Lucien avait Ménuel, qui, prisant aussi l’excellence de la bibliothèque de notre héros, s’était tout à fait établi chez lui. Lucien se le fit donner par le lieutenant-colonel Filloteau en qualité de garde-malade.

Ménuel contait à notre héros blessé certaines parties de sa vie[1] et se gardait bien de parler de certaines autres. Par forme d’épisode, nous conterons en passant cette vie d’un simple soldat. Si parfois

  1. Histoire de Jérôme Ménuel.