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voulut se lever, il n’en eut plus la force, et bientôt se trouva mal ; il était presque nuit close. Lucien fut réveillé de sa stupeur par un petit bruit ; il ouvrit les yeux, il vit devant lui un lancier qui le regardait en riant.

« Voilà notre milord ivre-mort, disait le lancier. Eh ! bien, on a beau dire, moi je bois tout mon argent, mais jamais on ne m’a vu comme milord. Dame ! c’est qu’aussi il a plus de quibus que moi ; et, s’il met tout à boire, il doit être plus avancé que le lancier Jérôme Ménuel. » Lucien regardait le lancier, sans avoir la force de parler.

— Mon lieutenant, vous avez quelque difficulté à marcher ; vous serait-il agréable que je vous misse sur vos jambes ?

Ménuel n’eût eu garde de se permettre ce langage si l’officier ne lui eût pas semblé ivre ; mais il riait de bon cœur de voir le milord, comme l’appelaient les soldats, hors d’état de se mettre debout, et, en véritable Français, il était ravi de pouvoir parler ainsi avec un supérieur. Lucien le regarda, et put trouver enfin la force de lui dire :

— Aidez-moi, je vous prie.

Ménuel plaça ses mains sous les bras du sous-lieutenant, et l’aida à se mettre debout. Ménuel sentit sa main gauche