Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/201

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Voilà comment ils font toutes leurs affaires ! en enfants, pensa-t-il enfin. Qui avait dit à ces pauvres jeunes gens que je pense comme eux ? Le sais-je moi-même ce que je pense ? Je serais un grand sot de songer à gouverner l’État, je n’ai pas su gouverner ma propre vie. » Lucien eut, pour la première fois, quelque idée de se tuer ; l’excès de l’ennui le rendait méchant, il ne voyait plus les choses comme elles sont réellement. Par exemple, il y avait dans son régiment huit ou dix officiers fort aimables ; il était aveugle, il ne voyait pas leur mérite.

Le lendemain, comme Lucien parlait encore de républicanisme à deux ou trois officiers :

— Mon cher, lui dit l’un d’eux, vous nous ennuyez toujours de la même chanson ; que diable cela nous fait-il, à nous, que vous ayez été à l’École polytechnique, qu’on vous ait chassé, qu’on vous ait calomnié ? etc., etc. Moi aussi j’ai eu mes malheurs, je me suis donné une entorse il y a six ans, mais je n’en ennuie pas mes amis.

Lucien n’eût pas relevé l’accusation d’être ennuyeux. Dès les premiers jours de son arrivée au corps, il s’était dit : « Je ne suis pas ici pour faire l’éducation de tout ce qu’il peut y avoir au régiment de gens