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Louis XV ; et, cependant, quel est l’homme marquant dans un tel état de la société ? Un duc de Richelieu, un Lauzun, dont les mémoires peignent la vie. »

Ces réflexions plongèrent Lucien dans une agitation extrême. Il s’agissait de sa religion : la vertu et l’honneur, et suivant cette religion, sans vertu point de bonheur. Grand Dieu ! qui pourrais-je consulter ? Sous le rapport de la valeur réelle de l’homme, quelle est ma place ? Suis-je au milieu de la liste, ou tout à fait le dernier ?… Et Filloteau, malgré tout le mépris que j’ai pour lui, a une place honorable ; il a donné de beaux coups de sabre en Égypte ; il a été récompensé par Napoléon, qui se connaissait en valeur militaire. Quoi que Filloteau puisse faire désormais, cela lui reste ; rien ne peut lui ôter ce rang honorable : « Brave homme fait capitaine, en Égypte, par Napoléon. »

Cette leçon de modestie fut sérieuse, profonde et surtout pénible. Lucien avait de la vanité, et cette vanité avait été continuellement réveillée par une excellente éducation.

Peu de jours après les lettres anonymes, comme Lucien passait dans une rue déserte, il rencontra deux sous-officiers à la taille svelte et bien prise ; ils étaient vêtus avec un soin remarquable et le