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aller au delà de cette conclusion. Un homme sage lui eût dit : « Avancez un peu plus dans la vie, vous verrez alors d’autres aspects des choses ; contentez-vous, pour le moment, de la manière vulgaire de ne nuire méchamment à personne. Réellement, vous avez trop peu vu de la vie pour juger de ces grandes questions : attendez et buvez frais. »

Un tel conseiller manquait à Lucien, et, faute de cette parole sage, il erra dans le vague.

« Mon mérite dépendra donc du jugement d’une femme, ou de cent femmes de bon ton ! Quoi de plus ridicule ! Que de mépris n’ai-je pas montré pour un homme amoureux, pour Edgar, mon cousin, qui fait dépendre son bonheur, et bien plus son estime pour lui-même, des opinions d’une jeune femme qui a passé toute sa matinée à discuter chez Victorine[1] le mérite d’une robe, ou à se moquer d’un homme de mérite comme Monge, parce qu’il a l’air commun !

» Mais, d’un autre côté, faire la cour aux hommes du peuple, comme il est de nécessité en Amérique, est au-dessus de mes forces. Il me faut les mœurs élégantes, fruits du gouvernement corrompu de

  1. Célèbre couturière de Paris (Note de R. Colomb.)