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triomphe de la médiocrité sotte et égoïste, et, sous peine de périr, il faut lui faire la cour. Si j’étais un paysan, avec quatre cents louis de capitaux et cinq enfants, sans doute j’irais acheter et cultiver deux cents arpents dans les environs de Cincinnati ; mais entre ce paysan et moi, qu’y a-t-il de commun ? Jusqu’ici ai-je su gagner le prix d’un cigare ?

» Ces braves sous-officiers ne seraient pas ravis par le jeu de madame Pasta ; ils ne goûteraient pas la conversation de M. de Talleyrand, et surtout ils ont envie d’être capitaines : ils se figurent que le bonheur est là. Au fait, s’il ne s’agissait que de servir la patrie, ils méritent ces places cent fois mieux, peut-être, que ceux qui les occupent, et dont beaucoup sont arrivés comme moi. Ils croient, avec raison, que la république les ferait capitaines, et se sentent capables de justifier cet avancement par des actions héroïques. Moi, désiré-je d’être capitaine ? En vérité, non. [Je ne sais ce que je désire. Seulement, je ne vois de plaisir pour tous les jours de la vie que dans un salon comme celui de ma mère.]

» Je ne suis donc pas républicain ; mais j’ai horreur de la bassesse des Malher et des Marquin. Que suis-je donc ? Bien peu de chose, ce me semble. Dévelroy saurait bien me crier : « Tu es un homme fort