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Cette lettre effaça presque tout à fait la sensation d’ignoble et de laideur, si vivement réveillée par la première. « Les injures écrites sur mauvais papier, se dit Lucien, c’est la lettre anonyme de 1780, lorsque les soldats étaient de mauvais sujets et des laquais sans place, recrutés sur les quais de Paris ; celle-ci est la lettre anonyme de 183*.

» Publius ! Vindex ! pauvres amis ! vous auriez raison si vous étiez cent mille ; mais vous êtes deux mille, peut-être, répandus dans toute la France, et les Filloteau, les Malher, les Dévelroy même, vous feront fusiller légalement si vous vous montrez, et seront approuvés par l’immense majorité. »

Toutes les sensations de Lucien étaient si maussades depuis son arrivée à Nancy que, faute de mieux, il s’occupa de cette épître républicaine. « Il vaudrait mieux s’embarquer tous ensemble pour l’Amérique… m’embarquerai-je avec eux ? » Sur cette question, Lucien se promena longtemps d’un air agité.

« Non, se dit-il enfin… à quoi bon se flatter ? cela est d’un sot ! Je n’ai pas assez de vertus farouches pour penser comme Vindex. Je m’ennuierais en Amérique, au milieu d’hommes parfaitement justes et raisonnables, si l’on veut, mais grossiers,